Je cours à côté d'un train qu'on m'a donné au hasard, de bonne heure

Ça faisait longtemps que j'avais pas pris le train. Polka n'a même pas eu peur, dans la gare ; sur le quai, quand le train est arrivé avec son sifflement et ses gros bruits de feraille, elle remuait tranquillement la queue.

Dans le compartiment, il y avait six couchettes. On a casé les gros sacs derrière l'échelle. Polka s'est roulée en boule sur la couchette de mon père, et je me suis hissée jusqu'à la mienne, à l'étage intermédiaire. Mes parents étaient placés en bas.
Le train est parti, il a repris sa petite chanson habituelle, ses boum-boum sourds et réguliers - je ne sais pas qui a dit que les trains font tchou-tchou, mais je vous garantis, moi, pour l'avoir entendu chanter toute la nuit, que celui-là faisait boum-boum.
On a eu faim. Du pain avec du saucisson. Je n'ai mangé que le saucisson, comme d'habitude. Assise sur le bord de ma couchette, je n'avais pas la place de me tenir debout.

Je me suis alongée.

A côté de mon oreiller, mon sac de toile mauve, avec des fleurs. Dedans, des tas de bouquins, quelques CDs. Pas envie de lire, trop fatiguée. Du sac, je sors un balladeur, et puis, debout sur le Zinc.
Je ferme les yeux.
Les accordéons, les voix, les guitares, les batteries me réchauffent les oreilles, le chanteur a jeté ses angoisses par la fenêtre, rester debout, j'aimerais tant te promettre la lune, explique-moi où est-ce qu'il est dit que tout doit se jouer dans le drame, moi j'ai fait le rêve éveillé qu'il existe de beaux lendemains, tout ça. Donne-moi la main.
Le train balance doucement.
Et puis il y a ce petit air qui s'élève soudain, j'ai l'impression que le wagon bascule.
C'est un peu une déclaration...
Boum-boum, boum-boum fait mon petit coeur en choeur avec le train.
Une déclaration. Pour vivre avec toi, tu es mon chez-moi, mon premier et mon second choix, mon rêve d'absolu qui ne tarit pas...

Dans mon sac, y'avait un gros bouquin corné avec une bougie sur la couverture.
Pascal, Pensées.