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Altawabi's blog II
23 décembre 2008

Bach, les concertos italiens, sous les doigts

Bach, les concertos italiens, sous les doigts d'Alexandre Tharaud. Cette légèreté du touché ; l'expressivité du pianoforte associée avec justesse à la sobriété de la musique baroque. Une subtilité extraordinaire ; qui me touche peut-être plus profondément, finalement, que les accents outrés du romantisme. La musique comme une caresse, qui vient frôler les cordes de la vie intérieure, au lieu de les pincer avec trop de vigueur et de brusquerie ; nuances infimes, fluctuations à peine perceptibles, richesse inépuisable d'un seul fragment indéterminé de soi ; au lieu de la fulgurance tranchante et univoque d'un déchirement qui frappe uniformément l'être interne dans son entier, pour en faire comme une statue taillée d'un seul et même bloc, marbre blanc, qui ne s'effrite pas. Beethoven, Chopin, Liszt, Schubert ; à côté d'eux, Goethe et Les souffrances du jeune Werther, l'amour poussé à la pointe extrême de son aspect malheureux : le suicide, cohérence trop entière de la souffrance qui ne va que jusqu'au bout d'elle-même, étrangère à toute contradiction, à tout entremêlement subtil qui fait pourtant la matière inévitable de la vie. Ce livre, je l'aurai lu trop tard. Terriblement émouvant d'être une tentative d'exorcisation d'un vécu que je reconnais trop bien, ce livre qui m'aurait bel et bien été un ami, je le devine, si je l'avais lu au bon moment, et dont jamais je ne me permettrai de rire, comme je ne me suis jamais permis de rire de l'adolescence... Mais, il est trop tard.

J'écoute Bach repensé au piano, j'ai lu Ricœur cet après-midi sur les Méditation Cartésiennes de Husserl, un texte que je ne comprends pas encore, mais l'un de ceux qui me redonne du goût pour la philosophie comme il me semble que la musique parfois me réconcilie avec le monde ; j'ai passé la journée dans cette chambre quimpéroise où les grandes fenêtres laissent voir un large ciel blanc sur lequel se détache en noir le dessin élégant et doux des branches nues de quelques arbres ; c'est le repos salutaire après les turpitudes parisiennes, la tranquillité d'une solitude apaisée où l'on peut reprendre un instant son souffle, enfin ; ponctuée de quelques échanges avec mon père, au sujet de Husserl, ou ma mère, au sujet de tout et de rien. Pourtant, depuis combien de temps n'avais-je pas ressenti cette paix, entre ces quatre murs que je connais trop bien, murs lourds de souvenirs ; dans cette pièce que j'avais peu à peu vidée de tous ses meubles, de tous ses objets, de tout son passé, de tout son sens enfin jusqu'à pouvoir la quitter sans trop de regrets, il y a plus d'un an maintenant ? Aujourd'hui Bach y résonne en écho à un hier où, sous les doigts émus du même paniste, les suites de Rameau emplissaient l'espace et sonnaient jusqu'au dedans de moi, dans l'espace confondu du dehors et du dedans, cette chambre devenue mon intériorité ; les suites de Rameau emplissaient l'espace, comme un signe puissant de tout ce que j'étais, de ce que je vivais alors, qui s'est cristallisé depuis dans la musique, comme un point crucial de l'histoire insignifiante de mon individualité ; un dedans, que je retrouve aujourd'hui à la même place, qui s'écrit en criant sur les murs, dès que je marche entre eux ; les souvenirs qui sont toujours présents malgré les tentures qui cherchent à cacher leurs éclaboussures sur les murs.

Et je sais qu'aujourd'hui cette paix, le son des concertos de Bach qui pénètre si loin en moi, je les dois précisément à ce dont je suis venue me reposer ici le temps des fêtes de Noël ; cette façon dont je me sens soudain rassurée à voir entrer certaines personnes dans l'amphi, des cours qu'on sèche pour aller au cinéma, des nuits où l'on se tient debout au bout d'un lit à quatre heures du matin à essayer de voir la tour eiffel par la fenêtre ; et puis, ce soir-là, le moment de s'endormir, mais on n'est pas seule ; une présence à côté qui rassure, encore, qui tient chaud en pensée, dans la distance respectueuse des corps ; amitié ; le temps qui se dissout dans un soupir apaisé, et la lourdeur réparatrice du sommeil. - Confiance.

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  • Naissance d'un nouveau blog, d'un nouveau chez-moi. D'un nouveau moi ? Non. Jamais. Je suis ce que je suis et ce que je traine derrière moi, hein. Comme toujours. Ça, ça n'a pas changé, et ça ne changera pas. Non, c'est juste que... je déménage.
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