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Altawabi's blog II
30 mai 2008

(Non : il n'y aura pas de titre. Ce texte est trop mal écrit pour en mériter un. La citation, pourtant, ne le méritait pas.)

"... même si, pour pouvoir l'être vraiment, il faut pouvoir se perdre plusieurs fois..."

Je me suis perdue. Deux fois au moins. La première en choisissant Brizeux pour lycée, la seconde en choisissant la Sorbonne pour université. Heureusement, le second choix a minimisé les dégâts. J'aurais pu faire pire : choisir une prépa. Ma résistance à cette idée était certes irrationnelle, et plus têtue qu'autre chose, mais je crois que cela aura été salutaire. Il faut croire que c'était un réflexe de survie.

Je n'ai rien de commun avec Elle. C'est clair. Comprenez : je ne veux pas dévaloriser son choix, qui en soi vaut autant qu'un autre, j'en suis persuadée. Je serais sûrement allée là aussi, si ça avait pu être facile. Mais je n'aime pas la difficulté ; je veux dire : pas du côté de cet aspect-là de la vie, l'aspect alimentaire, le sans véritable importance. C'est ailleurs que la difficulté a un sens, que l'on ne s'écorche pas pour rien contre les parois du monde. Peut-être à un niveau que l'on pourrait appeler celui de l'humain, ou de la vie dans un sens plus pur...

Là où je me heurte à un problème, c'est au niveau de la valeur des lettres, de la culture. Je me souviens que lorsqu'on me demandait : "à quoi ça sert ?" (ce cher Lavoisier qui s'étalait crânement à la craie sur le tableau vert), j'avoue que je ne savais pas très bien quoi dire. Maintenant, j'ai envie de dire : à rien. Je regarde ce tableau de Corot, la villa d'Este, la douceur de la lumière qui plane sur l'Italie, et je réponds : à rien. Ce tableau qui était déjà là, accroché dans le fond de la salle de français, comme si déjà il cherchait à me dire : "tu te trompes." Je ne comprenais pas la sympathie que j'avais pour cette reproduction, dans toute mon ignorance de la peinture, qui ne savait que me rendre aveuglément avide de savoir, par accumulation. Mais c'est vrai : la littérature, ça ne sert à rien. Et c'est précisément pour ça que je l'aime. En vain essayais-je d'argumenter ; l'art même des mots, celui que j'aimais, n'avait rien à dire : il était. C'est tout - comme si c'était peu ! Il avait par là ce pouvoir immense de rompre la chaîne infernale du pragmatisme. A quoi ça sert ? Celui qui pose sans cesse cette question n'a aucune idée de ce que c'est que vivre. Qu'il me réponde, simplement : et vivre, à quoi ça sert ?

Qu'on laisse au pragmatisme son lieu propre, et qu'on n'y réduise pas la vie humaine. Les lettres entrent dans un autre lieu : elle sont simplement belles. Quand je me promène dans un musée et que je me demande, "mais pourquoi est-ce qu'ils ont peint tout ça ?", quand je reste perplexe devant ces bifaces inutilisables parce que taillés dans du cristal de roche, à me demander ce qui a bien pu alors passer par la tête des premiers hommes, je ne peux que me rendre compte qu'à l'évidence, il y a dans la vie, comme une partie indissociable de sa substance-même, de l'inutile. Ce n'en est pas la partie à détruire, à nier. C'en est peut-être même, au contraire, le centre, le point crucial. Kant ne définit-il pas l'esthétique, le lieu du Beau, de la vérité dans une âme et un corps, de la finalité sans fin, comme le niveau propre de l'humain ? Qui d'autre que l'homme peut bien avoir cette idée bizarre de peindre, d'écrire des poèmes où les mots s'assemblent en des images étranges qui sont à mille lieues de la réalité pratique, de la survie de l'espèce ? Et pourtant : peut-être que l'homme, sans cela, se laisserait dépérir. Je plains notre président de ne pas comprendre ce que la connaissance du Latin et du Grec peut avoir de précieux, peut-être de plus utile - en tant, justement, qu'inutile - qu'il ne semble en mesure de l'imaginer. Ces langues sont des clefs pour mille et une richesses qui font la substance même de nos vies : des beautés inutiles.

On pourrait croire que je me contredis, et je ne suis pas loin d'y croire aussi. Mes mots ne seront toujours que le reflet de ces contradictions qui ne me laissent pas dormir. Si j'ai des lettres et de la culture une si haute idée, pourquoi n'ai-je pas choisi de m'y consacrer plus avant, d'y plonger plus profondément, d'y accorder plus de temps et de dévouement ? Parce que, rappelons-le : ça ne sert à rien. C'est pour cela qu'on en a besoin, mais aussi, à la fois, qu'il ne faut pas trop en faire un plat, si j'ose dire. A trop la sacraliser, à souffrir dessus, y mettre des enjeux, elle n'est plus ce qu'elle est. Je ne creuserai pas ce point. Simplement, je crois qu'il faut savoir y conserver une certaine légèreté. L'intello n'est pas celui qui veut de bonnes notes. L'intello, c'est celui qui dénature son objet en s'efforçant de croire qu'il aime ce qu'il fait d'un amour passionnel, qui y met un enthousiasme forcé et superficiel. La littérature, parfois, ça nous emmerde. Et bien, il n'y a qu'à refermer le livre ; ou, si l'on est étudiant, simplement à l'étudier - sans essayer de s'inventer une passion artificielle, même si cette réaction est fort compréhensible : sans doute relève-t-elle d'un besoin de se rassurer soi-même...

J'y viens : la vie n'est pas plus dans les bouquins que dans le pragmatisme. Le pragmatisme assure notre survie matérielle ; le livre, ou l'art, nous rappelle que notre vie-même de sert à rien. Mais c'est pourquoi la vie ne saurait être dans la culture elle-même. Elle est utile parce qu'inutile - et c'est pour cela qu'il faut des gens pour la cultiver - mais en tant qu'extérieure à la vie. Où est la vie ? Je pense, dans les actes, les choix, et surtout le face-à-face avec les autres, et avec le monde. Pour tout cela, l'art peut être un guide - il est comme un panneau sur le bord du chemin qui nous renverrai l'image de notre propre inutilité - mais le guide n'est pas le chemin. On ne se confronte pas aux autres lorsqu'on a le nez dans un livre, ou qu'on déambule, seul, dans un musée. Ni quand on pense ou qu'on écrit comme je suis en train de le faire. Comme le travail - alimentaire, pragmatique -, ça n'est toujours qu'un à côté de la vie, dont on a besoin, mais qui ne la remplace pas.

Et c'est pourquoi je me suis perdue. La vie n'a pas de sens, elle n'en aura jamais. La renommée, l'excellence, la passion n'y changeront rien. La vie n'est ni intense ni éternelle. Elle est. Aussi insignifiante et fugitive que la lumière changeante sur la façade d'une cathédrale, matérialité du temps qui passe. Comme une horloge qui marque sept heures moins dix. Heure ordinaire, dépourvue de sens. "Tu as besoin de rencontrer des gens comme toi, qui sont plus dans le travail intellectuel, dans la pensée", mais c'est faux. Je n'ai besoin de rien, sinon de vivre. Je n'ai pas besoin de me rattacher à ces surfaces, à ces faux espoirs d'une intelligence qui sauverait. Je vais mourir, comme tout le monde. Peu importe la quantité de livres que j'aurai lue, ou la complexité des équations mathématiques que j'aurai résolues. Cela n'y changera rien.

Je ne suis pas dans le travail intellectuel. J'ai passé tout mon collège à collectionner les dix-huit de moyenne sans rien foutre, ou presque. Juste le minimum. Je le faisais parce que pour moi, c'était facile. Et on me l'avait dit : ça devait toujours être facile. Je ferais un métier intellectuel passionnant, et ça serait facile. Si en effet ça avait été facile, bien sûr que je l'aurais fait. Mais ça n'a rien de facile. Je m'en suis rendu compte en arrivant au lycée. L'excellence, sur laquelle j'avais construit l'image de mon avenir, et qui lui donnait un sens, me glissait entre les doigts : elle devenait difficile. C'est facile, d'être enfant, de regarder l'avenir de loin, et de le voir beau, parfait même. Quand on tombe soudain dans l'adolescence, tout se casse la gueule. L'avenir se rapproche et se laisse peu à peu contaminer par l'imperfection du présent. J'ai voulu inventer à l'avenir un autre sens. J'en avais besoin. Ce fut celui de la passion. Nouvelle erreur, nouvelle chute douloureuse : la passion n'existe pas. Les gens passionnés sont dans l'artifice, le superficiel. Ils s'attachent à se donner l'apparence de gens passionnés parce que c'est la seule manière d'y forcer une existence. Sans doute faut-il un certain courage à cette superficialité. Je suis tombée dedans. Ceux qui me l'ont reproché avaient raison.

Je ne sais pas comment les choses se seraient déroulées si je n'étais pas allée dans ce lycée. Peut-être la vie aurait-elle continué son cours, peut-être serais-je allé en filière scientifique, serais-je restée désintéressée de mes études, au profit des gens, autour de moi. Peut-être pas. En réalité, je n'y crois pas vraiment. J'aurais de toute façon senti l'excellence m'échapper, et il aurait fallu réagir. Même mal, comme ça a été le cas. Une seule chose est sûre : les gens ne me ressemblaient pas plus au lycée Brizeux qu'ailleurs. Je n'ai jamais eu aussi peu d'amis que là-bas, même - et surtout - parmi ceux qui parlaient d'excellence. L'excellence, je le répète, je m'y serais laissé allé si elle avait été facile. Mais s'il faut, pour l'atteindre, que je me crève au travail, alors elle n'en vaut pas la peine.

La vérité, c'est que rien ne donnera sens à mon avenir. Ni mon métier, si extraordinaire soit-il, ni rien. La vérité, c'est que ma vie n'aura aucun sens et que ce sera très bien comme ça. Le tout est de l'accepter. Je ne me battrai pas contre des moulins à vent, ni pour aimer la philo, les lettres et les arts, ni pour atteindre des sommets inutiles. Rappelez-vous ce paysan qui se demandait bien ce que ces petits bourgeois - ces alpinistes - pouvaient bien aller chercher sur le sommet inhospitalier des montagnes. L'inutile, d'accord ; mais pas s'il demande des efforts démesurés. La force de l'inutile, c'est qu'il repose. Qu'il est, et puis c'est tout. Il n'y a pas de sens à le rendre difficile, ou seulement un sens inventé, qui n'existe peut-être que dans les livres, ou au cinéma. Nos vies ne ressemblent pas à des romans, ni à du cinéma. Elles n'ont pas de sens, même dans la difficulté.

Je me suis perdue deux fois. Oui, je me suis vraiment perdue, et j'ai perdu des gens avec ça. J'ai perdu tout l'important. Je ne suis ni ce qu'on a voulu croire, ni ce que j'ai voulu croire moi-même. Les gens "comme moi", ce sont ceux que j'ai perdu en me perdant moi-même - ou alors, ils n'existent pas. Mais je ne sais pas si je regrette mes erreurs. Je n'ai pas l'habitude d'avoir des regrets : ce qui est fait est fait. Et peut-être fallait-il avoir fait de telles erreurs, pour savoir vraiment distinguer quel devait être le chemin. Elles font sans doute autant partie de moi, de mes tiraillements et de mes paradoxes, que le reste. Plus je regarde en arrière, et plus je crois comprendre. Sans doute devais-je en passer par là. Et me voilà, avec ce que j'ai perdu, ce que j'ai cru apprendre ; je regarde devant, peut-être me perdrai-je encore. Mais j'ai l'impression de plus en plus franche qu'entre les deux extrêmes qui me tiraillent, l'un est en train d'abandonner la lutte.

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Commentaires
H
Il y a des choses communes, je crois que c'est pour ca que tu me lis.
Altawabi's blog II
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