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Altawabi's blog II
4 février 2008

Interlude : philosophie et rapport à autrui

Vous êtes le Socrate de mes premiers cours de Grec, ce Socrate sincère, qui reconnaît sincèrement son ignorance, et qui l'évoque humblement, sans ironie.

J'ai eu le sentiment que la philosophie pouvait être une formidable école de relation à autrui. Et cela parce que la discussion philosophique, le débat, la confrontation des points de vue impliquent - au moins idéalement - de s'ouvrir sincèrement aux propos des interlocuteurs, d'être capable de les recevoir, de les comprendre, de les peser, d'en alimenter le débat et ses propres idées - ce qui est déjà un grand pas hors de l'égocentrisme.
La philosophie, sans l'autre, ne rime à rien. Contrairement à ce que l'on entend dire parfois, je suis persuadée qu'on ne philosophe pas tout seul, par ses propres forces, et ce tout simplement parce qu'on ne peut philosopher à partir d'un point de vue unique. C'est justement de la confrontation des points de vue, de leur contradiction que naît le problème philosophique. En ce sens, le problème philosophique est un problème quotidien, un problème de tous les jours, il se rencontre chaque fois - ou presque - que nous discutons avec nos semblables : divergences de goûts, d'opinions, de points de vue, qui peuvent facilement dégénérer - on en fait l'expérience de temps à autre - en violentes disputes, où chacun reste braqué sur son idée. Et si ce n'est pas le cas, c'est généralement parce qu'on a conclu à un "tu penses ce que tu veux", et qu'on a coupé court à la discussion - qu'on a fui le problème : dans les deux cas, les deux interlocuteurs se trouvent totalement fermés l'un à l'autre.
La philosophie, dans le sens où plutôt que de le fuir, elle va tenter de creuser le problème, est alors ce formidable instrument d'ouverture : plutôt que de couper court à toute discussion - donc de se fermer à l'autre - ou de rester braqué sur sa position, en l'affirmant à grand renfort de cris et d'énervement - autre manière de se fermer à autrui - celui qui se comporte en philosophe saura voir qu'il n'est finalement peut-être pas si évident de trancher entre les deux points de vue en présence, et saura se demander pourquoi, puis les évaluer, voir le bon et le mauvais dans chacun. En ce sens, il se sera ouvert à son interlocuteur : en montrant qu'il n'est pas si simple de trancher, il aura reconnu la valeur des propos de l'autre, et peut-être ouvert la voie à une discussion constructive, dont l'intérêt se trouve, sinon dans les conclusions philosophiques qui en seront éventuellement tirées, au moins indéniablement dans le lien de reconnaissance, d'écoute et d'échange qui se sera alors tissé entre les deux personnes. 
Car c'est bien cela que l'on nous apprend en cours de philosophie, et la méthode de la dissertation, tant décriée comme trop "scolaire" ou "artificielle", en est l'illustration-même : il s'agit, comme on ne cesse de nous le répéter, tout d'abord de problématiser - c'est à dire, exactement comme ce que l'on vient de décrire, de montrer en quoi il n'est pas si simple de répondre à une question, pas si simple de trancher entre deux réponses possibles à cette question - exactement comme nos deux interlocuteurs qui reconnaissent que leurs points de vue respectifs ont tous deux une certaine valeur et qu'il n'est pas forcément si simple de décider si l'un des deux est absolument meilleur que l'autre - il reconnaissent, au lieu de le fuir, qu'il y a un problème. Après quoi il s'agit de s'interroger sur diverses réponses possibles à la question, de les confronter, de voir leur intérêt et leurs limites. Et finalement, la thèse que l'on soutiendra en fin de devoir n'est peut-être pas aussi importante que le chemin que l'on aura fait pour y parvenir : celui par lequel on s'est penché avec un intérêt sincère sur diverses idées apparemment contradictoires, et qui nous étaient peut-être totalement étrangères - le chemin par lequel on s'est ouvert à la pensée d'autrui, qu'il se nomme Aristote, Nietzsche, ou du nom de quelqu'autre auteur.
Ainsi la philosophie, comme recherche de la vérité, pourrait-elle être un lieu de recontre formidable avec autrui : passionnés par la vérité, les philosophes - et dans ce cadre, n'importe qui pourrait bien être philosophe, car peu importe à quel domaine ou à quel niveau de complexité appartient la vérité recherchée - pourraient alors, dans la discussion, se détourner de leur propre nombril - c'est à dire, ici, de leurs propres idées ou de leur intelligence ("je pense ce que je veux", "c'est moi qui ai raison", "je suis plus intelligent que les autres") - pour se tourner tous ensemble vers cette même vérité, mouvement où plus rien d'autre ne compte que ce but, qu'ils ne sauront atteindre qu'en mettant en commun leurs idées et en se nourrissant chacun de celles des autres. Peu importe finalement qu'ils ne l'atteigne jamais : l'important est que, leur attention étant détournée de leur propre intelligence vers cette vérité, toute idée venant d'autrui soit examinée avec un intérêt sincère parce qu'elle est susceptible de participer à y mener.

Mais évidemment, tout ne passe pas ainsi. Evidemment, la plupart des "philosophes" (mais ceux-là pour moi n'en sont pas, et je me garde de me prononcer sur mon propre sort à ce sujet) sont plus préoccupés par leur propre "intelligence" que par cette vérité, plus occupés à impressionner la foule ou a être contents d'eux-mêmes qu'à s'intéresser à ce que les autres peuvent avoir à dire - à apporter de jolies réponses bien élaborées, temoins de leur "intelligence", plutôt que de poser réellement les questions et de réaliser qu'il n'est finalement pas si simple d'y répondre (ce qui ne veut surtout pas dire qu'il faut y renoncer ! Mais d'une certaine manière, donner une réponse univoque à une question, c'est aussi refuser de la poser vraiment, donc refuser d'y chercher vraiment une réponse...)

...

"On peut se retrouver face à des élèves qui ont de toute façon décidé qu'ils n'en avaient rien à faire - alors que de notre côté, on ressent que notre discipline a tout de même, peut-être, une importance. Et on en vient à se remettre en question, et à remettre en question la discipline elle-même : a-t-elle tant d'intérêt que cela, finalement ?... Ce peut être assez douloureux."

Et pourtant, toujours animé d'un optimisme admirable. Tout n'est pas perdu !

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Commentaires
A
Si cela t'éclaire, j'en suis ravie ! :)<br /> <br /> J'avoue pour moi, ce texte est surtout là pour me donner envie de continuer, et fixer la direction dans laquelle j'ai envie de continuer... Mais bon, je crois que ça marche, alors... ^^<br /> <br /> Merci pour ton commentaire !
C
Pff je voulais dire quelque chose de bien - un tant soit peu constructif - mais devant ton article, tout tombe à plat. "Merci de m'éclairer un peu" suffira donc! :)
Altawabi's blog II
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