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Altawabi's blog II
13 février 2007

Je ne sais pas

       Ils s'arrêtent, debout, l'un près de l'autre, silencieux face à l'océan. L'écume vient presque leur lécher les pieds. A regarder la mer, elle ne sait pas si elle doit s'abandonner à son émerveillement devant le spectacle romantique – au sens littéraire et artistique du terme –  des flots qui roulent leurs vagues grises, ou si elle doit se garder de sombrer dans un état de contemplation que certains jugent, peut-être à raison, trop artificiel ; pas plus qu'elle ne sait s'il attend ou non qu'elle rompe le silence qui s'installe entre eux. Mais en réalité, ces deux interrogations, de passage dans ses pensées, ne la préoccupent que peu ; peut-être simplement sait-elle que de telles questions n'admettent pas de réponse absolue, et surtout que leur résolution, dans la situation présente, n'a rien de nécessaire.
       « Quand je regarde la mer, hasarde-t-elle finalement, j'ai envie de dire des poèmes. Mais chaque fois, je ne peux pas m'empêcher de repenser à un texte que j'ai étudié en première, une lettre de Flaubert, où il traite de farceurs ces romantiques qui on tendance à prendre "un air pensif devant l'océan", dit-il. Alors, je ne sais plus si je dois m'autoriser, sans avoir honte, à dire ou même à penser mes poèmes ; et chaque fois je n'ose que me taire. Et pourtant, je n'aime pas le silence. »
       Il ne répond pas tout de suite, comme prenant le temps d'analyser tranquillement ses paroles, avec un intérêt sincère.
       « Ce qui est dérangeant dans le silence, » dit-il finalement, comme énonçant le résultat d'une brève réflexion, « c'est qu'on se sent toujours obligé de le rompre, sans raison particulière, et sans jamais savoir comment s'y prendre. Pourtant, je ne sais pas s'il faut toujours vouloir le briser à tout prix. Je crois que le silence est angoissant quand il est absence, absence de réponse, même à une question informulée. Mais parfois, les mots n'ont simplement rien à dire. Peut-être alors le silence mérite-t-il d'être préservé… peut-être. Je ne sais pas. »
       - Tu dis souvent "Je ne sais pas", remarqua-t-elle.
       - Toi aussi, dit-il. »
       Puis, après un bref silence :
       « Difficile d'avoir des certitudes quand il est si simple de démontrer tout et son contraire. »

       De nouveau, ils se taisent. Elle laisse son regard se perdre à l'horizon, les pensées absolument vides cette fois de toute interrogation, même insignifiante. La douce blancheur du ciel nuageux enveloppe la plage d'un halo de lumière hivernale – et  pourtant, c'est le début de l'été. Un petit vent froid leur caresse les mains et le visage, qui n'ont pas trouvé refuge sous leurs vêtements. Elle sent ses paupières se fermer, doucement, et puis quelque chose de chaud qui frôle timidement sa main. Elle n'ouvre pas les yeux tout de suite. Maladroitement, leurs doigts s'entremêlent, et se serrent au seuil des manches épaisses de leurs manteaux.
       Ils se remettent finalement en marche, longeant l'écume qui va et vient dans un grondement sourd, mais familier.
       « On mesure l'intelligence d'un individu à la quantité d'incertitude qu'il est capable de supporter, murmure-t-elle.
       - Qui a dit ça ?
       - Emmanuel Kant. »

       Elle n'ose pas encore tourner les yeux vers lui, regarder à nouveau son visage. Mais elle ne s'inquiète pas de cette timidité, qui ne durera qu'un temps, comme à chaque recommencement. Entre eux, elle sent l'étreinte de sa main qui serre encore la sienne, et leurs pas laissent dans le sable deux empreintes parallèles.   

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Commentaires
A
Arf, malheureusement, pas de belle histoire qui commence autrement qu'imaginée - pour l'instant, pour l'instant ^^<br /> <br /> C'est moi qui te remercie de tes commentaires :)
V
Correction : je "fais" ce que je veux face à la mer. Ce que je peux ? oui, aussi.
V
Trois jolis textes d'affilée sur trois posts différents... merci.<br /> Et une belle histoire qui commence ?<br /> Je ne savais que Flaubert pouvait être si stupide. C'est beau l'océan et la béatitude devant l'océan. Je vais ce que je veux face à la mer, et j'y noie Flaubert.
Altawabi's blog II
  • Naissance d'un nouveau blog, d'un nouveau chez-moi. D'un nouveau moi ? Non. Jamais. Je suis ce que je suis et ce que je traine derrière moi, hein. Comme toujours. Ça, ça n'a pas changé, et ça ne changera pas. Non, c'est juste que... je déménage.
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