Les animaux-machines
Cela va mieux.
Le devoir de philo est passé. Je me sens plus légère ; il me semble que le reste n'a pas la même importance.
Et je l'ai fini, celui-là ; j'ai fini, cette fois.
Deux devoirs que je rendais sans les avoir finis - en Histoire et en Littérature -, un troisième ne pouvait pas passer.
Surtout un devoir de philo.
Je suis sortie de la salle la toute dernière, au moins dix minutes après la sonnerie (peut-être plus, je n'ai pas regardé ma montre), mais au moins, j'ai fini.
On n'a même pas essayé de m'arracher ma copie - tant mieux. (Bon, en même temps, j'avoue que c'est pas trop dans les habitudes du prof de philo, il est plutôt conciliant, tout de même - faut r'connaître, comme dirait maman.)
Je ne sais pas ce que ça donnera, mais j'ai fini.
J'aime la philo. J'ai l'impression que ça faisait longtemps que je ne l'avais pas écrit.
Je me rappelais dans le bus, tout à l'heure, que c'est elle qui m'avait sortie du trou - ce texte de Descartes, dont j'avais envie de comprendre toutes les subtilités même s'il ne nous avait été donné qu'à titre indicatif ; ce texte qui m'avait remise au boulot. Moi qui ne touchais plus à un cahier depuis des mois (ou alors, la veille d'un devoir, entre 22h et minuit), j'ai passé des soirées entières à me creuser les méninges, sans me décider à lâcher le morceau. J'ai tout retourné dans tous les sens, j'en ai longuement parlé avec Esther...
Et j'ai oublié. Ou alors, j'ai mis de côté, je ne sais pas. J'ai oublié le trou dans lequel j'étais. Je me suis remise au boulot. Et ça m'a fait du bien - il était temps, d'ailleurs.
Cette année encore, ça continue. Je ne passe pas toutes mes soirées à bosser la philo, je ne saute pas forcément de joie à l'idée d'aller en cours ; mais ces cours sont à peu près les seuls pendant lesquels je ne regarde jamais ma montre, les seuls auxquels je ne suis encore jamais allée en traînant tout à fait les pieds, même dans les moments où j'ai envie de tout sauf de travailler.
Cette année encore, quand je dérape sur le bord du trou, je me plonge dans Pascal, ou Kant (heu tout de même pas dans le texte celui-ci, pas encore ^^).
Et j'oublie, de nouveau.
Je ne lâcherai pas la philo. Je ne sais pas pourquoi elle, je ne sais pas ce qu'elle a de plus qu'autre chose, mais puisqu'il faut choisir quelque chose, ce sera elle. Elle ne m'a pas lâchée - du moins, pas encore -, je ne la lâcherai pas.
Je me souviens d'un jour, une personne m'a dit cette phrase, incongrue dans sa bouche : "Merci d'exister."
Je n'ai jamais compris pourquoi elle m'avait dit ça, elle ; elle qui, je le sais, ne le pensait pas un instant.
Je n'ai jamais réussi à prendre au sérieux l'idée selon laquelle cette phrase aurait été prononcée avec une ironie voulue. C'eût été trop odieux. Je refuse encore de croire que cette personne ait pu être odieuse à ce point, même si elle n'a pas toujours été tendre avec moi - inconsciemment, le plus souvent, je crois. Mais je crois aussi que cette personne n'a jamais été tendre avec quiconque.
L'instant d'après, il la serrait dans ses bras. Je l'ai senti si seul à ce moment là. J'ai eu de la tendresse pour lui, un instant.
Je me sens un peu moins inexistante, aujourd'hui, sans que je sache réellement pourquoi.
Un rayon de soleil dehors ; le devoir de philo qui est passé, cela joue peut-être - au moins, je me sens plus légère.
Merci à Voyageur - et à quelques autres, pour d'autres raisons.