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Altawabi's blog II
21 décembre 2006

Tout ça

Je n'ai rien pu noter. Les idées s'envolaient, trop légères pour être retenues, après m'avoir frôlée, carressantes. Ces idées qui ont pourtant longtemps été pour moi d'une confuse évidence. Mais le temps peut-être, et la recherche d'un sens dans les paroles trop absurdes des autres, la certitude soudain de tout pouvoir comprendre, la richesse enivrante des regards ; de tout cela les évidences sont mortes. Tuées de trop penser.
En était-ce une encore, pourtant, que cette caresse trop furtive ? Je ne crois pas - ce n'en était que l'ombre, le reflet. Si la pensée massacre sans disctinction toutes les évidences, c'est pour mieux faire rennaître de leurs cendres celles qui étaient à garder. Ma première intuition, je crois, était la bonne.

Comment peut-on, alors, désirer n'avoir jamais d'enfants. Cela semble absurde, et c'est pourtant si clair, si nettement affirmé : c'est que la vie n'est pas un cadeau, c'est vrai ; quel égoïsme alors de vouloir la donner, la donner comme on se passe une patate brûlante. C'est la vie d'un enfant comme pour égayer la nôtre, en lui imposant la lourde tâche de réussir, lui aussi, à égayer la sienne. Un véritable défi.
Mais ce défi aujourd'hui c'est aussi à moi de le relever - la patate est dans mon camp. Et je sais que je n'aurai jamais la force de la tenir dans mes mains jusqu'au bout sans tenter de m'en débarrasser, ou du moins, d'en atténuer les effets. Je suis comme chacun, je ne veux pas mourir, quoi que j'en dise. Alors un enfant, c'est continuer de vivre un peu, même après. C'est aussi ça. Un enfant c'est rendre la vie moins douloureuse parce que c'est défier la mort, la mort qui dévore chaque instant de la vie, qui fait de la vie ce qu'elle est, avec toute sa misère.
J'ai parfois du mal à comprendre ce qui nous maintient en vie, ce qui nous pousse à continuer, puisque de toute façon nous courons tous droit vers un mur. Et pourtant ce quelque chose existe, puisque je continue, puisque vous aussi. Je ne sais quoi nous pousse à profiter de ce rien qu'est la vie, à tenter d'en faire quelque chose. Car la nier c'est affirmer plus encore sa misère. Fuir la misère de la vie, ce n'est pas mourir, puisque la mort participe de cette misère, mais c'est au contraire vivre jusqu'à exister. Alors nous continuons. Et nous cherchons le moyen d'être heureux... Désespérément. Nos enfants alors sont un pied de nez à la mort, et peut-être un pas vers un bonheur incertain.

Nous vivons parce que nous savons que nous allons mourir et que nous ne pouvons pas l'accepter - j'ai l'impression.

J'ai peur de ce qui m'attend, bientôt, une fois sortie du lycée et du cocon familial ; de l'insouciance heureuse qui a déjà commencé à me quitter depuis quelque temps. Je n'ai de cesse d'écrire que non, je n'ai pas peur ; mais ce n'est qu'une manière de me rassurer.
Me rassurer, j'y arrive plutôt bien ; mais on me renvoie l'angoisse à la figure trop régulièrement pour que je sois réellement sereine. Faire ceci, faire cela, parce que j'en ai les capacités, parce que si je n'essaye pas je vais peut-être regretter, parce que là, il y a des débouchés. Mais je n'ai pas envie de faire ça. Je n'ai pas envie de survivre, j'ai envie de vivre. Je sais que la voie que je désire suivre mène à peu de choses. Mais c'est dans ce peu que je veux trouver une place, et nulle part ailleurs. Je sais que ce sera sûrement difficile, que je n'y arriverai peut-être pas. Je le sais, vous comprenez ? Alors, arrêtez de me le répéter sans cesse. Vous ne m'apprenez rien, vous n'arrivez qu'à m'angoisser, ce qui revient à me gâcher la vie. Ce sera difficile, je n'y arriverai peut-être pas, je le sais ; mais je ne veux pas voir les choses sous cet angle, sinon, je ne ferai jamais rien. J'ai envie de me dire : c'est ça que je veux faire, alors je me battrai, et j'y arriverai. J'y arriverai, vous entendez ? Je n'en ai rien à faire de la réalité, elle m'emmerde la réalité, je la plierai à ma volonté ou alors c'est elle qui m'anéantira ; mais elle ne m'anéantira pas sans que j'ai rien tenté pour me défendre - ça, ne rien tenter, c'est le regret le plus terrible que je pourrais avoir.

Il est des rêves que j'ai laissés de côté. Parfois j'y repense, encore, souvent même. Il y a cette bestiole à six cordes dans sa housse noire, et l'ampli qui prend la poussière dans le salon, qui n'a presque jamais servi. Il y a tous les souvenirs qui vont avec, et puis tout ce qu'on a pu imaginer, toutes les vies qu'on s'est construit. Ce qui s'est passé ; ce qu'on aurait aimé qu'il se passe ; ce qui ne se passera jamais. La poussière aujourd'hui, le temps qui manque. Le prof qui s'en va. Le coeur qui se serre en repensant à tout ça. Ça n'arrivera jamais, jamais.

On se balade dans le lycée, les pensées s'attardent sur ces choses qui s'oublient doucement. Un peu de musique, et tant de choses qui remontent. Trop de choses à dire qu'on n'a jamais dites et qu'on ne dira jamais. Et même maintenant, la main qui se serre sur le dossier du banc où je me suis assise dans le foyer. Je ne veux pas partir d'ici. Je crois que tout me manquera. Je vois déjà si bien comment je me souviendrai plus tard de mes années lycée, comment je les idéaliserai, malgré tout. J'ai déjà commencé. Je ne veux pas partir. Trop de choses me manqueront.
Cherchez l'erreur dans tout cela ! Si je ne veux pas partir, c'est que je suis bien ici. Pourtant, je ne suis pas bien parce que je sais que je vais partir. Et en même temps, c'est parce que je sais que je vais partir que je me rends compte que je suis bien ici. C'est un peu ce que je disais tout à l'heure sur ma vie entière : c'est parce que je sais que je vais mourir et que cela me fait peur que je veux vivre. Alors, cette fois, c'est parce que je sais que je vais partir et que je ne le veux pas que j'aime être ici. 
Alors c'est évident, d'un coup : il faut que j'en profite, jusqu'au dernier instant. Que je savoure jusqu'au bout. C'est à l'image de ma vie entière ; vivre tant que je ne suis pas morte, être ici tant que je ne suis pas partie. Être ici toute entière.
Il y a quelque chose comme ça. Sans doute.

Il y a une dernière chose dont je voulais parler, je crois. C'est à propos de l'orgueil. Du sentiment d'avoir de la valeur, et de la conscience de n'être pas grand chose. Je crois qu'on a toujours un peu les deux à la fois, ou alors, on tangue entre les deux ; et dans chacun, il y a encore une contradiction.
Le sentiment d'avoir de la valeur, qui vient des compliments qu'on peut vous faire, est à la fois agréable et désagréable ; agréable parce que cela fait plaisir d'avoir une bonne image de soi-même, désagréable parce qu'on se sent détestable d'avoir pour soi trop d'admiration - tout comme on a tendance à détester ceux qui respirent l'orgueil à plein nez.
Il y a donc dans un compliment quelque chose d'à la fois agréable et désagréable - il procure un sentiment agréable qui lui-même va entraîner un autre sentiment, désagréable celui-ci.
Dans la conscience de n'être pas grand chose, c'est un peu pareil. A la fois cela soulage, libère d'un poids - les gens exatraordinaires, ça n'existe pas, ouf, je ne suis pas obligé d'être extraordinaire - je ne suis pas, je n'ai jamais été, et je ne serai jamais quelqu'un d'extraordinaire - bon ben oui, voilà, je suis faillible, j'en ai le droit, je ne suis pas tenu de tout maîtriser et d'être parfait - ouf. Mais d'un autre côté - et là, ça semble plus évident -, c'est un peu désespérant, d'être condamné à n'être pas grand chose - et là ça me semble assez clair pour que je ne m'étende pas plus.
Voilà donc, je crois que je n'ai pas de conclusion particulière à tirer de cela. J'avais, je crois, juste envie de le noter, le noter avant de partir.

Demain soir, 18h20, un train de nuit part de Quimper pour Lyon. Je serai dedans. Heureuse d'être enfin en vacances - tant ce ne sont pas encore celles qui me sépareront définitivement du lycée.

Il se fait tard - je vais me coucher.

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Commentaires
O
Ton texte me paraît criant de vérité. Pour donner un goût d'éternité à l'existence, il y a les enfants, oui. J'ajouterai que la création artistique me paraît être une autre option. C'est justement peut-être parce qu'elle ambitionne cet infini qu'elle a cette valeur immense. L'Art n'est pas toujours fait pour être "vu" à un moment précis. Combien d'oeuvres vivent cachées et sont uniquement conçues pour le regard de... Dieu ?...<br /> Puisses-tu passer de bonnes vacances :-)
Altawabi's blog II
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