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Altawabi's blog II
23 mars 2008

J'aurais bien voulu

Je fais toujours les choses avec une lenteur incommensurable.
Surtout les choses qui m'emmerdent.
Par exemple, j'ai mis plus d'une demi-heure à étendre mon linge tout à l'heure.
Et deux ou trois chaussettes avant la fin, je me suis subitement arrêtée pour écouter ça.

Comme ça, ça m'a pris.

Cette nuit, j'ai rêvé que sortant de ma douche en peignoir, un garçon me demandait - gentiment - de l'enlever. Juste comme ça. "Parce que c'est joli", disait-il. Et moi, je disais non - et pourtant je n'en avais pas tout à fait pas envie. Je ne sais plus si je l'ai finalement fait ni qui était ce garçon, mais je préfère tout de même un rêve de ce genre à celui, récurrent, où mon chien meurt euthanasié par ordre du président de la République, ou écrasé par une voiture sur l'autoroute (c'est tout de suite moins classe.)

Je serais bien allée au cinéma ce soir mais j'ai une heure de retard pour la séance (la faute aux chaussettes à étendre) et sûrement autant pour la suivante, si j'espère manger avant - lenteur incommensurable, et tarte au courgettes pas prête. Je ne peux prétendre m'ennuyer au vu de la quantité de choses que j'ai à faire, mais j'avoue que je me sens lasse. Je crois que je n'ai qu'une envie, c'est de sortir d'ici et de m'en aller prendre un train pour... pour où, d'ailleurs ?

Je ne sais pas si un jour je finirai par le faire. Je ne sais pas.
En attendant je reste à ma place, ou alors j'attends le printemps - d'ailleurs il paraît que c'était ces jours-ci, mais j'ai du mal à y croire.

(Cette putain de chanson finira par me tuer. Peut-être qu'à force de l'écouter je finirai par m'en lasser aussi... Si seulement elle pouvait me tuer avant !)

Mais ce que j'aimerais, ce n'est même pas monter dans le train. C'est en voir quelqu'un descendre. C'est trouver de façon impromptue quelqu'un qui m'attende à la porte de l'immeuble avec tous ses bagages, le trouver là en rentrant un soir, arrivé sans prévenir. C'est entendre sonner un téléphone, et puis la voix dirait : "Je suis là." Quoi qui se passe, il dirait : "Je suis là. Là, pour rester. Cette fois, je ne repars plus." Ce serait la seule chose à dire.

Et alors, je m'effondrerais entre ses bras, je pleurerais toutes les larmes de mon corps. On se serrerait très fort et on s'endormirait comme ça. Et puis surtout, ne jamais, jamais me réveiller, ou alors m'étrangler dans mes larmes ou étouffer qu'il me serre trop fort, pour surtout, surtout ne jamais risquer de gâcher en aucune façon le bonheur ineffable, la force pénétrante de l'instant, l'inoubliable, ne jamais le livrer aux caprices du temps, de l'imparfait qui se profile, de la lassitude qui guette au fil toujours trop uniforme des jours. Tout arrêter là où tout commence. Eternité.

Impossible éternité.

Je suis ce que je suis, et rien, jamais rien ne m'en a plus appris sur moi-même que ces cours sur l'esthétique. Je suis ce qu'on a fait de moi, et je ne sais encore me désaltérer que de ce qu'on m'a appris à boire. J'aime les tableaux des impressionnistes bien plus que ceux d'un Delacroix ou d'un Léonard. Je goûte avec ivresse à la lumière et me fatigue de désintérêt devant l'Histoire ou la religion. J'aime les dessins, les croquis, les inachevés, les aquarelles comme celles qui recouvrent les murs de la maison de mon enfance. J'aime ce que mon père m'a montré, simplement. J'aime la mer, les diversités éphémères des ciels de Picardie et d'ailleurs. Chez Botticelli, j'aime la douceur qui règne sur les visages. Chez les peintres flamands, j'aime les coins de paysage, les perspectives atmosphériques et le jeu anecdotique des nuages. Chez Léonard, j'aime l'énigme caressante des sourires et la tendresse des gestes courbes.

J'aime le jeu de la lumière sur la lagune de Venise que j'entends dans le piano de Lizst. J'aime me taire dans l'incomparable, le déchirant Adagio d'Albinoni pour lequel j'ai à peine des mots et pas la moindre image. J'aime fermer les yeux et m'abîmer dans la pureté des convulsions éphémères des pianos romantiques d'un Beethoven, d'un Chopin ou d'un Schubert. Retrouver le repos sur un Andante de Mozart. L'angoisse adoucie de l'adolescence sur une chanson de Souchon. Le sourire sur une chanson de Maxime.

J'aime avoir cinq ans au bord de la mère en me perdant dans l'incompréhensible prose de Breton qui m'est soudain tombée entre les mains, l'espace d'un après-midi de fatigue. J'aime ces quelques mots fugitifs qui frappent soudain au milieu de l'ennuyeux roman classique. J'aime être saisie par un vers, un poème inconnu sans comprendre pourquoi. J'aime croiser par hasard un musicien de rue aux carrefours de Paris ou dans un wagon de métro, bien plus que de mettre un CD dans la chaîne. J'aime tomber par hasard sur un livre comme on tombe sur une fenêtre, dans une bibliothèque où je cherchais la concentration pour une version latine ou une lecture de Kant. J'aime les rues de Paris, le jeu changeant des ombres sur les façades, les mille et un regards sur une seule et même perspective, les saisons et les heures qui passent sur le Pont des Arts.

J'aime que le monde se montre à moi comme je ne l'ai jamais vu, comme je ne m'y attends pas.
Qu'il me fasse une à une la surprise de ses merveilles.

Et puis, j'aime les garçons. Ou plutôt, non : tout le contraire. Je veux dire que j'aime ce garçon, cet autre aussi, celui-là encore. J'aime ces garçons particuliers - je ne sais faire dans le général. J'aime celui à qui je racontais tout ça qui ne comprenait pas, le reflet de la lune dans l'eau. Le seul qui a su, qui a pu, qui a voulu être là, rester, ne plus repartir. Qui est reparti quand même, mais quelle importance.
J'aime celui dont la bêtise et le silence cruels ont éteint les rêves étranges au son des accordéons dans un bal d'autrefois. Celui qui par manque de mots a laissé un désordre assassin recouvrir l'ivresse de la musique et la portée de certaines paroles, messages isolés qui ont su traverser les forteresses de la solitude.
J'aime celui, enfin, à qui j'ai parfois cru ressembler, moi qui regardais dans l'eau... Je ne puis citer tous les visages, mais je les vois se dessiner un par un dans la mémoire, et il n'en manque pas un.

De tous mes souvenirs parmi lesquels j'aime à me promener quand le quotidien s'amasse, ce sont ceux-là que je chéris le plus, que je redoute le plus de voir s'effacer. Un robinet qui fuit dans la salle d'arts plastiques du collège, un car qui traverse l'Italie, des promenades sans mots et presque sans regards mais l'impossibilité ressentie de leur inexistance, des après-midi entiers où le temps s'arrête. Le soleil entre les branches d'un chêne.
Une voix au téléphone que l'on entend sourire en marchant un vendredi soir au bord de l'Odet, des après-midi à s'endormir bercés par les hurlements des guitares, quelques mots lus sur un écran, un message lancé à travers une salle de concert, un silence dans une pièce en chantier.
Des après-midi d'ennui sur une plage à goûter à une absence.
Une danse inattendue.
Un vertige sur le Pont des Arts.
Des heures à marcher dans Paris. Des musées, un quai de gare où l'on attend d'abord comme en prenant conscience soudain d'une folie, puis où l'on ne trouve plus ce qu'il y aurait à dire, où l'on cueille des mots et un dernier sourire. Et puis la foule. Qui vous renvoie votre solitude en pleine figure.

L'important, c'est ce que tu ressens - j'avais failli trouver cette phrase bête, dans une bouche intelligente.

J'aimerais juste avoir l'impression que mon coeur va exploser - mais de bonheur et de crainte, cette fois, comme sur un quai de gare ; pas de lassitude et de mélancolie, comme un soir qui s'étire dans ces mots sur l'écran...

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Commentaires
A
Merci (parce qu'il fallait tout de même dire quelque chose, et que finalement ce mot était peut-être le moins mauvais.)
C
Au début j'écoutais Babylon Circus et j'avais envie de te chanter, avec un grand sourire :<br /> "J'aurais bien voulu t'enlever en voyage<br /> Une croisière de rêve au pays des mirages"<br /> ... parce que j'avais envie de te voir sourire aussi :)<br /> <br /> Maintenant c'est l'Adagio en fond et ce n'est plus vraiment la même ambiance. J'imagine ta gare avec... plus de... gravité, peut-être.<br /> <br /> J'aime bien le rêve que tu as fait. J'aime bien aussi quand tu racontes tes émotions, celles de la peinture et de la musique, des moments éparses d'une vie.<br /> <br /> "J'aurais bien voulu"... descendre du train.<br /> ...
Altawabi's blog II
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