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Altawabi's blog II
21 février 2007

Je ne t’aime pas

   [Pour Lejour2françis - écrit il y a quelques mois déjà.]

« Ecoute, je sais bien que quoi que je dise tu trouveras toujours une bonne raison de m’en vouloir, alors je ne vais pas chercher à atténuer la chose ; je te le dis tout net : je ne t’aime pas. »
Hoquet d’horreur à la lecture de ces mots. Douloureuse explosion de sa poitrine. Malaise soudain, la fenêtre, ouvrir la fenêtre. Il s’appuie comme il peut au rebord de granit, l’air de la mer envahit ses poumons. Brise humide et salée sur son visage. Ciel gris d’orage, bruit du vent, et la houle. Odeur d’algues pourries. Il a le mal de mer.

« Je ne t’aime pas ». Ces mots tournent encore dans sa tête, on dirait que c’est depuis toujours. Ils sont là, tout autour, là dans le bruit du vent et dans le goût du sel. Et ils tournent. Pourtant, il avait juré qu’il ne voulait plus jamais voir la mer. Jamais. Mais il la sent déjà dans l’air, il sent l’iode et la pluie, et puis surtout, il sent le mal de mer en descendant du train. Quimper. Terminus.
Pourquoi il est revenu, il ne sait pas. Peut-être pour comprendre. « Je ne t’aime pas ». Ces mots l’avaient fait fuir. Clés saisies sur la table, portière claquée de la voiture, le moteur qui ronronne. Et puis, c’est droit devant. Ne jamais revenir.

Et le voilà revenu.
 
« Je ne t’aime pas ». Etrange, la résonance de ces mots. Mystérieuse, presque. Mots terribles, assassins. Mots qui tuent. Deux ans de souvenirs, deux ans de rires et de câlins, deux ans de mots d’amour et de tendresses silencieuses ; deux ans de petites bouderies, deux ans de nez qui coule, deux ans de petits orages toujours anéantis par les sourires. Deux ans de vie à deux, tués par quelques mots. Mais il ne peut plus dire : deux ans d’amour. « Je ne t’aime pas. » Elle aurait pu écrire : « Je ne t’aime plus. » Mais elle avait écrit : « Je ne t’aime pas. »
Elle avait eu raison, après : il lui en avait voulu. Il avait trouvé de bonnes raisons. Il avait prévenu toutes les autres filles qu’il avait croisées, après : je ne veux plus m’attacher à personne. Je ne veux plus, parce que je ne veux plus souffrir. Je ne vous aimerai jamais, et c’est à cause d’Elle. C’est à cause de ce « Je ne t’aime pas. » Et il leur racontait combien il lui en voulait. Combien Elle lui avait fait mal ! Il brandissait son vécu douloureux comme on brandit un étendard, qui devenait prétexte à la dépression, à l’égoïsme et la haine. Jusqu’à ce que le temps range un à un les souvenirs dans quelque vieux tiroir. Alors la vie se fait plus calme.

Et le voilà revenu. Des années en arrière. La Bretagne et ses ciels de plomb. « Je ne t’aime pas ». Petite rengaine aux échos amers. Ici, tout semble se souvenir de lui. Les façades grises de l’avenue de la gare le regardent froidement, leurs petites fenêtres voilées lui jettent des regards moqueurs ; et tout semble murmurer en silence : « Je ne t’aime pas ».
C’est ici qu’est la clé du mystère, ici que les cadavres pourrissent aux coins des rues depuis bien trop longtemps.

Très loin, là-bas, vers l’Est, il y a la petite parisienne qui joue. Elle est assise sur le rebord du lit, dans la petite chambre grise. Rayon de lumière douce à travers le rideau de la fenêtre sous le toit. En bas, la grand-ville. Les voitures. Et là-haut, tout en haut de l’immeuble, tout au dessus du monde, la petite parisienne a une guitare sur les genoux. Et ses doigts courent sur la guitare, encore, toujours, depuis toujours peut-être. Et la guitare fait des pluies d’étoiles qui chantent entre les murs et au dehors. Partout.
La petite parisienne. Lumineuse sous ce ciel étrange qu’elle lui a raconté d’un bout à l’autre, et qui plane sans cesse au dessus de son visage ; lumineuse sous ce tourbillon de musique étoilée. Les voix et les sourires, les amis, un verre de trop, peut-être, mais non, je ne crois pas, quelle importance après tout. Il fallait bien qu’un jour ça arrive, de nouveau. Il fallait bien qu’il ne reste plus seul. Et elle comprenait si bien...

Maintenant, de retour dans la maison du bord de mer, il pense à elle, la petite parisienne. Sourire. C’était vrai, finalement, parfois des gens nous aiment, vraiment. Alors pour s’en sortir il n’y avait plus qu’à remonter le fleuve jusqu’à sa source, c’est elle qui le lui avait dit. Retrouver les cadavres au coin des rues, apprendre à leur sourire, à ne plus avoir peur, et alors moi aussi j’aurais mon ciel, toutes ces étoiles là-haut. La douleur n’est jamais un prétexte. La douleur apprivoisée devient belle, elle devient la vie ; on l’aime et elle n’est plus douleur, elle est juste petit morceau de soi qui brille et qu’on ne peut plus toucher, mais qui nous accompagne pour toujours, qui nous apprend à continuer. C’est ça, continuer. Vivre heureux, tourné vers l’avenir, en continuant d’aimer pourtant tout ce que l’on a perdu. Continuer d’être ce que l’on est et ce que l’on traîne derrière soi, et cueillir aujourd’hui les souvenirs de demain, pour peupler notre ciel.
Mais lourde, la pensée, tout à coup ; lourdes les paupières. Fatigue du passé qui remonte et qui court dans les veines, qui bat au rythme du cœur, vite et fort, de nouveau, cela faisait si longtemps. Sommeil, tout à coup, peu à peu. Sommeil...

« Je ne t’aime pas ». Le douloureux mystère. Comment peut-on écrire des choses si terribles ?

« Ecoute, je sais bien que quoi que je dise tu trouveras toujours une bonne raison de m’en vouloir, alors je ne vais pas chercher à atténuer la chose ; je te le dis tout net : je ne t’aime pas. »
Hoquet d’horreur au souvenir de ces mots. Douloureuse explosion de sa poitrine. Malaise soudain, la fenêtre, ouvrir la fenêtre. Il s’appuie comme il peut au rebord de granit, l’air de la mer envahit ses poumons. Brise humide et salée sur son visage. Ciel gris d’orage, bruit du vent, et la houle. Odeur d’algues pourries. Il a le mal de mer.

« Je ne t’aime pas. » Paris. Les yeux fixés sur le stylo dans sa main tremblante. Et puis qui courent vers le papier, et qui se heurtent aux mots. Sanglots. « Je ne t’aime pas ». Horreur des mots, mots assassins ! Mots qu’on a lus… et puis qu’on a écrits. Mots qui dans chaque cas nous furent insupportables. Et la petite parisienne les a lus.
« Je ne t’aime pas. »
Elle sourit presque. Ses yeux sont désespérément secs ; sa gorge, aussi.

Elle prend sa guitare et elle joue.

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Commentaires
A
Voyageur > Merci à toi :)<br /> <br /> Lejour2francis > Difficle de répondre à une telle avalanche de remerciments, mais je suis sincèrement heureuse si ces mots t'ont touché ; heureuse d'avoir pu faire un (tout) petit quelque chose... :)<br /> Entre écriveurs de discours sans intérêt, faut bien se soutenir un peu ;)<br /> Et puis merci à toi, parce que... je sais pas, merci, c'est tout :)
L
Merci<br /> <br /> <br /> Je l'ai lu des dizaines de fois. Peur de ne pas tout saisir au début et puis le besoin de le lire pour m'appercevoir, tremblant, courir à travers certains passages.<br /> <br /> "La douleur n'est pas un prétexte"<br /> <br /> "je ne t'aime plus". La douleur n'est pas la même. Perdre quelquechose que l'on avait ou perdre quelquechose que l'on croyait avoir.Quel est le pire ?<br /> <br /> Merci, d'avoir fait mouiller mes yeux un peu le temps d'une ballade<br /> <br /> Merci d'avoir eu cette sensibilité là, à ce moment là<br /> <br /> Merci d'être venu un jour posté des mots sur des petits discours sans intérêt<br /> <br /> Merci
V
J'aime beaucoup ce texte, fluide, sensible, dur peut-être, triste aussi, mais... beau.<br /> <br /> En particulier ce passage de "C’était vrai, finalement, parfois des gens nous aiment..." à "Sommeil..."<br /> <br /> Merci
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